Quand on voit les choses depuis la position qu’on occupe…

À la veille du reconfinement, la philosophe Joëlle Zask, auteure, notamment, de Zoocities et de Quand la forêt brûle, lisait le texte qui suit au micro d’Augustin Trapenard, dans l’émission Boomerang, sur France Inter.

Le  28 juillet 1969, la fusée Apollo 11 s’est posée sur la lune. J’avais environ dix ans. Le téléviseur de la maison était équipé d’un minuscule écran sur lequel défilaient des lignes ondulantes et des points scintillants. Apercevoir une image en clair relevait d’une performance qui brûlait les yeux. L’alunissage en est devenu en quelque sorte plus réel. Un immense pas de l’humanité s’était accompli sous nos yeux.

J’ai grandi avec le sentiment que ce premier pas serait bientôt suivi d’autres. Le monde futur dans lequel j’ai cherché mes marques n’était pas plein de voitures, de villes et de gens mais de fusée interstellaires et intergalactiques. J’ai vraiment cru que nous pourrions embarquer pour d’autres planètes et quitter la terre.

Jusqu’à ce que je me plonge dans un livre de philosophie, La Condition humaine d’Hannah Arendt, qui commence par le constat suivant : bien que nous nous pensions comme des habitants de l’univers, nous sommes en réalité prisonniers de la terre. Cela m’a fait l’effet d’un électrochoc. J’ai littéralement senti se pulvériser ma croyance. Non nous ne pourrions pas quitter la terre, nous y sommes « confinés », nous n’avons pas de monde de rechange.

J’en ai fait ma philosophie. Je suis devenue réaliste. Mais pas pour autant attristée ni désabusée. En réalité, me suis je dit, la question n’est pas de quitter notre monde (car nous le reproduirions ailleurs à l’identique), elle est d’en prendre soin. Au lieu de rêver de mondes imaginaires, il faudrait cesser de dévaster le seul qui se trouve sous nos pieds. Et faire qu’il soit aussi dans nos têtes, au centre de nos valeurs et de nos préoccupations. Ce faisant, notre environnement s’ouvrerait en grand. On y découvrirait une myriade d’univers tous singuliers, certains très proches, d’autres très lointains, les uns immenses, d’autres minuscules. L’espace d’un confinement ne serait il pas aussi un espace de découverte, de liberté et de création ? On se dirait alors qu’il est impossible d’en faire le tour, qu’il restera toujours quelque chose à explorer. Quand on voit les choses depuis la position qu’on occupe, et non d’en haut, ou de l’extérieur, on les considère, on les respecte, et souvent on les aime.

Joëlle Zask, Marseille, le 29 octobre

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